Sarah Mazouz est sociologue, chercheuse au CNRS, elle est l’autrice de plusieurs livres, qui recoupent les intérêts de notre collectif – à propos de la race, de l’intersectionnalité, des politiques de l’altérité dans la France des années 2000, il s’agit en l’occurrence de la publication de sa thèse, en 2017, sous le titre La République et ses autres, où étaient déjà articulés la nation, l’immigration et la racialisation.
Dans un petit livre de la même collection que Nation qui nous occupe aujourd’hui, intitulé Race, tu soulignais que cette notion fonctionne comme un aiguillon, comme un principe d’inquiétude démocratique contre les points aveugles par lesquels les pratiques de pouvoir se réalisent, se reconduisent et se réaffirment. On ne peut pas dire que la nation, l’objet de ce petit livre, soit à proprement un point aveugle, c’est plutôt la poutre dans notre œil. Le point aveugle, qui va nous occuper cette année sous plusieurs angles, ce serait plutôt l’injonction à l’assimilation qui va avec la proposition nationale.
Nation se termine par une citation de Freud et de son malaise dans la culture : « il est toujours possible d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors pour recevoir les coups. » Cette citation finale souligne l’opération réalisée par la proposition nationale, une opération intrinsèquement ségrégative – pour le dire de manière un peu brutale, la nation ne se réalise qu’en se projetant dans un avenir (par définition toujours incertain, c’est bien le problème) où le corps de la nation ne se reproduit qu’en se différenciant sans cesse de ce qui en parasite l’accomplissement en un organisme idéalement parfaitement fonctionnel, répondant par ailleurs aux besoins du marché qui en définissent le cadre aussi bien économique qu’idéologique.
Tu soulignes le potentiel de radicalisation de cette pente à l’homogénéisation contenu dans la proposition nationale depuis qu’elle structure la pensée politique occidentale, depuis le XIXème siècle. Une telle radicalisation s’est notamment jouée autour de l’assimilation érigée en idéal. Si la première grande réforme du Code de la nationalité en 1889 n’avait pas pris en compte explicitement le critère de race, c’est bien à travers le critère de l’assimilation, discuté notamment à l’occasion du décret Crémieux (1870) mais plus largement aux colonies, que les préoccupations raciales se sont attachées à l’immigration et à la nationalité.